Une théorie construite pour fournir une alternative au marxisme révolutionnaire
La propriété libertarienne est une création artificielle des philosophes anarcho-capitalistes. La théorie qui la modélise a été "mise au point" par Murray Rothbard à partir de la fin des années 60 dans le but avoué (et réussi) de séduire les jeunes en leur offrant un cadre de pensée aussi attractif que celui de l'extrême gauche marxisante. La notion de propriété définie par Murray Rothbard est donc résolument révolutionnaire et sert de base à tout le développement de sa théorie.
Bien qu'elle touche une population peu nombreuse, la théorie anarcho-capitaliste a une influence certaine sur le débat libéral. Certains libéraux considèrent que la pensée anarcho-capitaliste est le développement naturel et l'aboutissement ultime du libéralisme. Ce serait donc par pragmatisme ou par manque de courage politique que les mouvements politiques libéraux se cantonneraient au libéralisme classique.
Nous démontrerons au contraire que cette théorie renonce aux principes de base du libéralisme classique et qu'en dépit de ses vertus désaliénantes vis à vis des dogmes étatistes, elle constitue une régression dangereuse et un frein au développement libéral.
La propriété comme unique source de la morale
Pour les libertariens comme pour les libéraux, la propriété est un droit naturel (qui résulte de la nature de l'homme) mais pour les premiers elle n'a pas à être promulguée ou protégée par un droit positif venant d'une structure étatique. La propriété libertarienne préexiste à toute institution et elle est le fondement absolu de la morale, le point de départ d'où découlent toutes les règles d'échange et de comportement vis à vis d'autrui. Tous les sujets de société peuvent être tranchés de ce seul point de vue : commerce, écologie, corruption, spéculation, immigration, avortement, adoption, droits des animaux, etc. La logique est implacable et aboutit à des prises de positions radicales et révolutionnaires par rapport à l'ordre établi. L'extrême pouvoir de séduction de cette théorie vis à vis des jeunes réside dans sa défense systématique d'un principe de non agression et de non violence vis à vis des autres. Le consentement et l'échange volontaire y sont absolument centraux. Rien ne doit être imposé à l'individu venant de « la société ».
Finies donc les grandes interrogations sur la fondation de la morale en raison, cette quête incessante qui a épuisé des centaines de philosophes, de Platon, à Rawls en passant par Kant, Bentham, Stuart Mill, etc. Les libertariens possèdent La Solution : est morale la propriété de son corps et tout ce qui en découle par le travail et l'échange volontaire. Et cette propriété, que l'on peut confondre avec la liberté, existe ex nihilo, avant et en dehors de toute reconnaissance par une institution.
Dans ce modèle, il n'y a plus d’État garant de la propriété, chacun doit la défendre par ses propres moyens. Chaque individu adhère pour sa sécurité et pour la protection de ses biens à une agence de protection, qui est une entreprise comme les autres, soumise à la concurrence.
Conséquences des postulats précédents tout impôt est considéré par les libertariens comme du vol ce qui autorise des slogans simplistes et péremptoires tels que "l'impôt c'est le vol" ou "l'impôt est une spoliation légale".
Mais où est passé l'individualisme méthodologique des libéraux ?
Ce qui devrait immédiatement alerter un libéral dans la doctrine libertarienne, c'est qu'elle ne respecte pas l'individualisme méthodologique, règle d'or de tout raisonnement libéral rigoureux. Il y a une espèce de collectivisme du droit et de la morale libertarienne qui doit s'imposer à tous. Dans le monde libertarien tout le monde s'accorde magiquement sur une conception consensuelle de la propriété.
Car pourquoi les agences de sécurité privée adopteraient-elles toutes les mêmes règles de droit ? Chaque agence devrait pouvoir offrir à ses adhérents des règles de droit adaptées à sa clientèle. Or le droit préconisé par Murray Rothbard est unique et universel : "Seul un monde sans maître, un monde purement libertarien, peut correspondre aux exigences du Droit et de la loi naturels et surtout, ce qui est plus important, aux conditions d’une éthique universelle pour tous les hommes."
Et M.R. en déduit rapidement que "Dans une société libre, il ne serait permis à personne (ou personne ne se permettrait) de violer la propriété d'autrui".
Mais on ne voit vraiment pas pourquoi un groupe constitués de riches possédants adopteraient les mêmes règles de droit qu'un groupe de miséreux. Les règles de droit et la morale qu'ils choisiraient de voir promues par leur agence ne serait certainement pas la même que celle des pauvres. Le groupe de riches serait plus rentable pour une agence que le groupe de pauvres. Il y a donc fort à parier que les agences de protection qui se spécialiseraient sur les riches n'adopteraient pas le même droit que celles chargées de protéger les pauvres.
Dans Anarchie État et utopie, Nozick montre les contradictions qu'il y a à envisager les "agences"
de protection privées d'une société anarchique. Les agences en conflit seraient obligées de se référer à des arbitres (ou de se combattre) et l'on verrait "naturellement" apparaître "quelque chose" de monopolistique, qui aurait tous les attributs d'un État.
Le refus dogmatique de toute externalité artificielle.
Deuxième grande aporie libertarienne : le refus de la violence. Cette posture destinée à séduire et à fournir un argumentaire aux militants les plus prosélytes ne résiste pas à l'examen. Cette idée que tout ce qui est imposé par la Nature est acceptable mais que tout ce qui est imposé par d'autres hommes est par essence mauvais n'est pas sans rappeler les positions du culte écologique qui considère que tout ce qui est naturel est bon et que tout ce qui provient de l'ingénierie humaine est par essence mauvais.
Ainsi pour les libertariens toute ingénierie sociale imposée par la force (qu'elle résulte de la majorité ou de la tradition) est forcément mauvaise et à rejeter. Pourquoi ? il faudrait à minima justifier ce postulat, ce que la poignée de philosophes libertariens ne prend pas la peine de faire. Si les contraintes imposées par la nature - l'homme doit se nourrir, se loger, se chauffer - sont évidemment neutres en regard de ce qui peut être jugé bon ou mauvais, pourquoi des externalités artificielles ne pourraient-elles pas s'avérer bénéfiques, c'est à dire contribuer à l'accroissement de la liberté/propriété de chacun ?
Dans ce domaine également les libertariens font fi de l'individualisme méthodologique car du point de vue d'un individu donné une contrainte artificielle, par exemple payer un impôt, est une coercition comme une autre. Il faut adopter un point de vue holiste pour porter un jugement de valeur sur les contraintes subies par l'homme en fonction de leur origine artificielle ou naturelle.
Talon d'Achille de la théorie libertarienne, ses prémisses holistes et constructivistes
La définition libertarienne (anarcho capitaliste) de la propriété est donc malheureusement fortement régressive. On retourne à la vieille conception de la propriété féodale, complètement stérile puisqu'elle ne permet la formation de capital que très localement, donc de façon très réduite. Cf à ce sujet, la brillante étude de Hernando de Soto dans Le Mystère du Capital.
Le slogan simpliste des libertariens, : l'impôt c'est le vol, montre bien qu'ils n'ont pas compris la mécanique subtile de la propriété privée libérale dans laquelle l’État assure, par l'usage de la force ou par la menace de son usage, la reconnaissance universelle de la propriété de chacun. La propriété privée libérale n'existe donc qu'après l'impôt régalien, et cet impôt ne peut donc pas la "voler" puisqu'elle n'existe pas avant lui.
L'extrême faiblesse de la théorie libertarienne ne tient donc pas dans son déroulé qui est rigoureux et souvent brillant, mais dans ses prémisses holistes et constructivistes. C'est une espèce de géométrie non euclidienne, qu'il faut considérer comme un plaisant exercice désinhibiteur, sans plus.
1 De alcodu -
Article paru sur Contrepoints sous le titre :
Propriété : une critique libérale classique des libertariens
La plupart des commentaires sont complètement hors sujet (et hystériques).
Critiques ad hominem, déformation systématique du texte et des idées qui y sont exprimées, les méthodes du libertarien moyen ressemblent vraiment beaucoup à celles du socialistus vulgus. Très amusant.
2 De Alain Cohen-Dumouchel -
La réponse de Stéphane Geyres (si c'est bien lui qui écrit sur le pseudo Euclide) est parue sur le site "Vu d'ailleurs", un site "libéral" qui ne laisse pas de place aux commentaires. L'évangélisation libertarienne ne souffre pas la contradiction, comme d'ailleurs SG le revendique clairement un peu plus bas. Nous allons analyser cette logorrhée, juste pour démonter les procédés employés qui en disent long sur la nature du mouvement libertarien. J'ai fait précéder chaque citation des initiales de son auteur pour essayer de rendre le "débat" plus clair.
La réponse de SG commence par un ridicule Haka libertarien :
(SG) "Quand on a la moindre idée du nombre d’auteurs et d’écrits qui ont tenté sans succès de trouver des failles au concept de propriété « libertarienne », et donc à l’anti-étatisme (Nozick, Godefridi), et à l’inverse l’ont consolidé à l’extrême (H-H. Hoppe, S. Kinsella), on s’étonne qu’on puisse encore aller sur ce terrain sans être certain de se prendre des volées de bois vert."
Édifiant sur le plan de l'argumentation.
On continue,
(ACD) "La propriété libertarienne est une création artificielle des philosophes anarcho-capitalistes." serait un argument "polémique et irrationnel". Ah bon ?
Pourtant l'ordre libertarien n'existe pas et n'a jamais existé. C'est une pure théorie qui doit amener un ordre nouveau dans un futur indéterminé. Exactement comme le socialisme et le communisme, élaborés par des théoriciens, puis mis en pratique, avec le succès que l'on connaît.
L'ordre libéral, c'est à dire la reconnaissance des droits de l'homme et l'instauration de la propriété privée (pas de la propriété - je reprécise) est lui, un ordre spontané. Comme je l'écrivais dans le deuxième article, sur la propriété libérale :
(ACD) "Incapables de modéliser ce nouvel ordre spontané dans lequel le capital humain n’est plus entravé par le pouvoir, les socialistes inventeront la notion de capitalisme, une fiction dans laquelle des forces organisées (la bourgeoisie) complotent pour asseoir leur pouvoir. Il n’y a pourtant jamais eu de mouvement destiné à inventer ou promouvoir le capital ; aucun guide, aucun grand timonier, aucun mouvement politique n’a créé le capitalisme rêvé par les socialistes."
La notion d'ordre spontané est d'ailleurs totalement absente dans l’Éthique de la Liberté, l'auteur précisant bien que : (MR) "En somme, une soumission aveugle à la tradition, ou bien le caprice de l'arbitraire, ou alors le recours à la raison humaine. Ce sont là pour l'essentiel, les seules manières de déterminer le droit positif". Quel contraste avec Hayek, qui démontre au contraire de manière brillante que la manière d'élaborer de juste règles de conduite en société ne peut pas naître de la raison humaine !
On continue,
Vient ensuite une polémique sur ... les dates, qui doit probablement faire partie de la "volée de bois vert" annoncée, sans commentaire.
On continue,
(SG) "Influence ? Débat libéral ? Quel débat ? Ceux qui pensent qu’il y a débat sont précisément ceux qui comme ACD n’ont pas saisi ce que liberté signifie et le lien profond qu’il y a entre liberté, propriété et responsabilité."
Donc, pas de débat, comme aux plus beaux jours du marxisme, ceux qui débattent sont ceux qui n'ont pas compris !
On continue,
(SG) "Quant au « frein » et au « dangereuse », j’aurais aimé que l’auteur ose au moins donner une idée des risques qu’il fantasme ainsi."
Sur le plan économique j'ai cité les travaux d'Hernando de Soto qui sont à mon avis un extraordinaire plaidoyer contre le libertarianisme et sur la régression qu'il pourrait induire s'il était mis en pratique : (ACD) "On retourne à la vieille conception de la propriété féodale, complètement stérile puisqu’elle ne permet la formation de capital que très localement, donc de façon très réduite. À ce sujet, la brillante étude de Hernando de Soto dans Le mystère du capital est éclairante."
Donc voilà (SG) "au moins ... une idée" : il suffit de lire.
Par ailleurs quand un activiste politique est capable, à l'instar des pires communistes, d'écrire : (SG) "quel débat ? Ceux qui pensent que .... sont ceux qui n'ont pas saisi ..." cela confirme qu'il y a grand danger.
Vient ensuite un chapitre sur le droit naturel et une liste d'auteurs et de concepts probablement forts savants, dont on aurait aimé comprendre le lien avec l'article à travers, par exemple, des citations ayant la force de preuves ou en lien avec le sujet. Mais non, rien, juste une liste d'auteurs censés faire autorité, (SG) "les libertariens les plus avancés" (sic), et de concepts ... sans arguments.
Vient ensuite un déroulé de définition de la propriété (vue par les libertariens) sans lien direct avec l'article. SG récite sa leçon libertarienne sans répondre aux points soulevés dans l'article. Il sait lui, ce qu'est la propriété, et ce n'est pas la possession. Pourtant Murray Rothbard distingue soigneusement la propriété, qui est évidemment une possession - on possède son corps, ses talents, son capital, on possède des connaissances, un savoir faire - et les droits de propriété. Par contre Murray Rothbard confond la propriété et la propriété privée. Pour lui toute propriété est privée, (Ethique de la liberté p76). C'est normal dans la théorie libertarienne, et c'est la que réside sa magie puisque tous les autres (8 milliards d'individus) sont censés reconnaître ma propriété au terme du processus décrit par (SG) : "je vous reconnais un droit, et vous me reconnaissez un droit. Ce n’est pas l’état qui me déclare ni me fait propriétaire, ce sont les autres, et mon action envers eux."
Et hop le tour est joué. Nous voilà revenu au point de départ et toujours aucune réponse sur le sujet. A noter que les libertariens - qui sont de vrais rebelles - écrivent le mot État sans e majuscule (c'est d'ailleurs à ça qu'on les reconnaît).
On continue,
(SG) "La propriété n’est donc pas le fondement de la morale, mais ce qui permet de la matérialiser. On voit à ce genre de nuance combien notre « ami » maîtrise le sujet."
Je donne la parole à Murray Rothbard (tient bizarre il emploie le mot possession à propos de la propriété - mais ce ne doit pas être un libertarien "avancé", c'est pour ça !) :
(MR) "À chaque personne, en tout temps et en tout lieu, s’appliquent les mêmes règles fondamentales : propriété de la personne sur elle-même et sur les ressources préalablement inutilisées qu’on a occupées et transformées ; ... Ces règles - que nous pouvons appeler les “règles de la propriété naturelle” - sont à l’évidence applicables, de même qu’il est possible de protéger ces formes de possession en tout temps et en tout lieux et quel que soit le niveau économique de la société. ... Seul un monde sans maître, un mode purement libertarien, peut correspondre aux exigences du Droit et de la loi naturels et surtout, ce qui est plus important, aux conditions d'une éthique universelle pour tous les hommes."
Donc, est-ce qu'il faut utiliser le mot "morale" ou "éthique" ou "propriété" ou "possession" ? Laissons ces discussions talmudiques - qui ont un indéniable côté poétique - au débat intralibertarien et constatons que nous n'avons toujours aucuneréponse aux arguments avancés dans les trois articles.
On continue,
Même quand mes constatations sont conformes au dogme libertarien gardé par SG, il semblerait qu'on me reproche de les exposer : (SG) "à la formulation, on dirait que c’est un défaut".
Le politburo libertarien n'a pas l'air d'apprécier mon ton, qu'il trouve un peu insolent. Dont acte.
On continue,
Maintenant un peu de condescendance : (SG) "Bravo ! Il a compris !" vite reprise par le professeur qui corrige les maladresses de l'élève, (SG) "Enfin presque".
Et :(SG)"mais enfin Alain", suivi d'une énormité : (SG)"l’état n’est pas le garant de la propriété, même dans la théorie classique".
Alors si, l'Etat est bien le garant de la propriété dans la théorie libérale classique ! C'est ce qu'exprime la DDH de 89 : Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression.
Donc après les tentatives d'intimidation, les arguments d'autorité, la condescendance, les procès d'intention (la panoplie complète des arguties) nous n'avons toujours rien : aucun début de réponse aux arguments avancés, des erreurs factuelles, pas le moindre raisonnement, le vide, le néant absolu.