Agacinski, théoricienne de la cause prohibitionniste
Comme Mme Najat Vallaud-Belkacem, bras armé de la cause hygiéno-dirigiste, a beaucoup de mal à tenir un raisonnement cohérent en la matière, c'est à Sylviane Agacinski, fonctionnaire-philosophe et féministe auto-proclamée, qu'a échu la tâche de trouver des arguments théoriques en faveur des prohibitionnistes. Il fallait en effet bâtir une idéologie qui puisse résister aux accusations d'esclavage portées par d'odieux libéraux, manifestement stipendiés par le grand capital et les réseaux mafieux. C'est donc cette dernière, pourtant sensiblement moins glamour que son alliée du gouvernement, qui s'est chargée de communiquer cette Vérité censée vous révéler toute la profondeur de l'idéologie crypto-puritaine :
On n’est pas propriétaire de son corps, on “est” son corps.
Brrr, c'est tellement profond, on en frissonne. Enfin, pas très longtemps si on se donne la peine d'analyser le concept.
Car la séparation entre le corps d'une part et la raison et la volonté d'autre part est une donnée fondamentale de la nature humaine. C'est même ce qui permet de distinguer les humains des animaux. Si un animal "est" son corps, c'est parce qu'il n'est pas capable d'agir autrement que ce que son instinct lui dicte. L'homme, lui, possède une volonté, c'est à dire qu'il est libre d'exercer ou non sa faculté de raisonnement et de l'appliquer au monde qui l'entoure. Cette possibilité s'applique également à son corps. Les être humains peuvent donc exercer leur raison sur leur corps, ils peuvent décider de l'utilisation qu'il vont en faire, ils peuvent le soigner, ils peuvent aussi en abuser et le détruire. C'est cela qui les rend propriétaires de leur corps. C'est la définition même de la propriété.
Mais plutôt que de continuer à argumenter sur ce fait de nature qu'est la propriété des êtres humains sur leur corps, il est plus intéressant dans le cas qui nous occupe de montrer à quel point l'affirmation de Mme Agacinsky est contraire à la plus élémentaire logique.
En effet la philosophe se rend ici coupable d'un "vol de concept" c'est à dire qu'elle est obligée de se servir du concept qu'elle veut réfuter. Le plus célèbre et le plus simple des "vols de concept" nous est fourni par la phrase de Proudhon : "la propriété c'est le vol". Pour définir le vol, il faut définir la propriété donc il faut obligatoirement en reconnaître le concept. Une proposition qui doit faire appel à tout ou partie de ce qu'elle prétend réfuter pour arriver à ses fins n'a évidemment aucune validité.
Une affirmation contraire à la plus élémentaire logique
Ce qui est frappant avec la formule "On n’est pas propriétaire de son corps, on “est” son corps. ” c'est que son auteur édicte une proposition qui, retranscrite par écrit, pourra être consultée après sa mort, c'est à dire après la disparition de son corps. Si un raisonnement, une affirmation, une découverte scientifique ou un calcul mathématique sont susceptibles d'être transmis à autrui et aux générations futures, c'est clairement qu'ils sont indépendants de chaque corps. L'écriture au sens large, est la plus parfaite manifestation du fait que nous ne sommes pas notre corps. C'est sous l'effet de notre volonté que nous produisons un texte qui est une affirmation claire de l'indépendance de notre esprit puisqu'il est destiné à être lu et compris par d'autres. Donc le simple fait d'écrire la formule pour la transmettre à autrui la contredit.
Mme Agacinsky a écrit plusieurs ouvrages. Vont-ils magiquement disparaître à sa mort ? A t-elle pris des dispositions pour que les droits d'auteur qui en résultent ne soient plus versés à quiconque après sa disparition ? Voilà qui serait conforme à sa "philosophie" mais on peut en douter d'autant que dans une interview au journal ELLE du 28.10.2013, elle cite le véritable auteur de la formule "je suis mon corps", à savoir le philosophe Maurice Merleau-Ponty, mort en 1961 mais dont elle ne craint pas de reprendre les idées.
Lorsque Sylviane Agacinsky signe dans Le Monde du 29.6.2014 son pamphlet "Refusons le commerce des ventres" qui reprend tous les poncifs prohibitionnistes, pourquoi n'en tire t-elle pas la conclusion qu'il faut aussi refuser le commerce des cerveaux qui pensent, et des mains qui écrivent ? Si on "est son corps" pourquoi Mme Agacinsky s'autorise t-elle à aliéner les services que lui rendent ses organes tout en refusant cette faculté à d'autres ? Après tout, elle pourrait garder ses pensées pour elle au lieu de les vendre, pardon, de les "marchandiser".
Prohibitionnisme et anticapitalisme
Rétrograde et puritaine, la position des prohibitionnistes socialistes est pourtant relativement cohérente dans son absurdité. En effet, reconnaître la propriété des êtres humains sur leur corps a toute une série de conséquences que les partisans de la vieille gauche marxiste ne sont pas prêts d'admettre.
Si les individus sont les uniques propriétaires de leurs corps ils ont le droit d'en user comme bon leur semble. Ils peuvent notamment louer leur force de travail ou, plus généralement, aliéner les services que leur corps peut fournir sous le contrôle de leur volonté (inaliénable) pour acquérir des biens ou d'autres services. Les acquéreurs de ces services, le couple homosexuel qui rémunère la gestation d'un enfant, le client de prostitué(e) qui paye un acte sexuel, le patient qui paye un acte médical, mais aussi le capitaliste qui achète le travail de l'ouvrier, ne commettent aucun délit, c'est à dire que leur nature d'êtres humains libres leur permet de réaliser ces transactions sans violer le droit naturel de leurs semblables.
On voit là clairement apparaître l'incohérence de tous ceux qui, à gauche comme à droite, ne défendent pas, simultanément et complètement, tous ces droits.
Si on voit dans le capitalisme une injustice fondamentale, une marchandisation du corps humain, il ne faut défendre ni la GPA ni la prostitution ; c'est l'incohérence des socialistes pro-GPA.
A l'inverse si on n'est pas prêt à admettre la propriété pleine et entière des êtres humains sur leurs corps donc la GPA et la prostitution, alors on donne des armes aux ennemis de l'économie de marché ; c'est l'incohérence des libéraux conservateurs.
1 De JEL -
Je suis mon corps... Très partiellement vrai... Je suis et mon corps est une partie intégrante de moi pendant ma vie terrestre. Puis-je faire ce que je veux avec mon corps ? Cela va dépendre des conclusions auxquelles j'arrive librement quant au sens de ma vie.
Si ma vie n'a pas de sens, tout est possible, y compris la monétisation de mon corps (quelle différence entre GPA et prostitution ?). Si je vis dans une société qui est arrivé à la même conclusion – pas de sens à la vie -, la seule limite imposée par cette société sera celle que pourrait apporter un éventuel contrat social ou assimilé. Cependant, nos sociétés, incapables de donner un sens à nos vies – ce n'est d'ailleurs pas leur rôle, me semble-t-il -, nous montrent tous les jours une grande capacité à procéder de manière extrêmement moralisatrice, au nom de valeurs vagues dont on a le droit de se demander sur quel roc elles sont réellement fondées.
Si ma vie a un sens (ce qui sous-entend que la vie continue après la mort physique, mais sans notre corps ; en effet, quel sens donner à la vie si nous disparaissons en totalité à la mort ?) alors mon corps, partie intégrante de moi-même en tant qu'homme, mon instrument qui me relie à la réalité pendant la vie avant la mort, devient subordonné, comme moi-même, à un autre ordre en fonction duquel je poserai mes actions. Dans ce cas, prostitution comme GPA peuvent s'avérer être des désordres, comme d'ailleurs toute utilisation de ce corps à des fins différentes de celles auxquelles, en toute liberté, j'ai adhéré. Je suis donc bien propriétaire de mon corps, mais je dois utiliser mes propriétés, dont mon corps, en harmonie avec l'ordre que j'ai librement choisi et qui donne un sens à ma vie. Si je ne fais pas cela, je ne suis plus en harmonie avec moi-même.
2 De random -
Il convient d’abord de s’intéresser à la valeur épistémique de la proposition : « mon corps m’appartient ». Est-ce une déclaration, un postulat, ou bien une conséquence logique d’axiomes plus généraux, ou encore est-ce une proposition analytique c’est-à-dire qui contient dans sa formulation sa propre vérité ? A priori, on est plutôt dans le premier cas, cette phrase étant un slogan scandé dans de nombreuses luttes politiques passées et présentes. C’est pour cela que son analyse philosophique doit être faite avec prudence.
Cela étant dit, analysons un peu ce qu’elle signifie, les enjeux philosophiques sous-jacents à cette phrase. Elle fait appel au concept de « corps ». Il serait un peu léger de prétendre que le concept philosophique de « corps » est bien établi, bien défini en philosophie, c’est au contraire un sujet de débat depuis de nombreux siècles renouvelé avec les questions du transhumanisme. Certains philosophes allant jusqu’à nier sa réalité, affirmant que les seules choses existantes sont des sensations, le corps étant une construction intellectuelle catégorisant un certain type et un certain nombre de sensations. Je pense notamment au physicien, physiologue, philosophe E. Mach. Ensuite, qui est ce « moi » auquel réfère « m’ » ? Là encore la question du Moi en philosophie (existence, définition) est loin d’être claire et distincte.
On reconnaît dans la suite de votre propos, le dualisme classique corps/esprit et la conception de l’animal-machine cartésien, largement dépassé aujourd’hui. Si on y ajoute la proposition « mon corps m’appartient », cela donne tout de même à croire que le corps est quelque chose d’extérieur à l’individu, quelque chose qui n’est pas constitutif de l’individu (comme on est propriétaire de sa voiture, objet extérieur) qui serait finalement un pur esprit. C’est une conception largement discutable.
Comme je l’ai dit en préambule, il convient de prendre cette phrase pour ce qu’elle est : avant tout un slogan utilisé dans des luttes politiques particulières par exemple pour le droit à l’avortement, à la sexualité que l’on souhaite et qui exprime le droit pour chacun d’agir ou de ne pas agir selon sa volonté dans des domaines qui relèvent de l’intime, de l’individualité. Examinons alors la question de la prostitution à l’aune de cette précision.
Premièrement, l’emploi du terme « prohibitionniste » est inapproprié. Il convient mieux de parler d’ « abolitionniste ». Est-ce jouer sur les mots comme je l’entends parfois ? Non, c’est jouer avec les concepts ! La prohibition interdit, l’abolition vise à la disparition. La prohibition interdit de vendre, de proposer un produit, une marchandise et de l’acheter, de le consommer, de l’utiliser. La position abolitionniste pénalise le consommateur, le client, mais nullement la prostituée. Autrement dit, la position abolitionniste ne viole nullement le droit des prostituées à se prostituer. Ensuite, la position abolitionniste (mais même la position prohibitionniste) n’empêche nullement chaque individu d’avoir des relations sexuelles avec qui il veut, autrement dit de faire ce qu’on veut de son corps. Ce qu’elle interdit, c’est l’acte d’achat/vente, on est bien loin des question de propriété du corps. Je ferai d’ailleurs remarquer que s’il y a un acte d’achat dans l’acte prostitution, c’est bien parce qu’on achète le consentement de la personne. Une personne consentante à un acte sexuel n’a nullement besoin d’être achetée ! Cela me semble relever de la logique la plus élémentaire.
Concernant le « vol de concept », d’abord, il faut bien comprendre que la phrase « la propriété c’est le vol » est un aphorisme de Proudhon provocateur. Le prendre comme un énoncé théorique c’est ne pas bien lire. Mais, dans le cas de S. Agacinski, je ne vois pas où est le vol de concept. Votre argumentaire pour tenter de le prouver me semble tiré par les cheveux. Personne n’est propriétaire d’un énoncé scientifique, d’une phrase, d’un raisonnement. Là-dessus, je pense que nous sommes d’accord. Mais en quoi cela contredit l’énoncé : « on est son corps » ? Je vous ferai remarquer que l’écriture nécessite un corps pour écrire.
« Ils peuvent notamment louer leur force de travail ». Là on reconnaît la pensée rothbardienne, dont on pourrait fournir beaucoup de critiques, mais là ça tombe à côté. Ici on ne parle pas de louer de la force de travail, mais de louer ou d’acheter un individu ou une partie de l’individu, ce qui est différent de louer sa force de travail.
Conclusion : l’énoncé « mon corps m’appartient » pose des problèmes philosophiques et doit être entendu plutôt comme un énoncé politique. L’abolitionnisme ne contrevient nullement au droit de disposer de son corps comme bon nous semble.
3 De alcodu -
Commençons par le plus simple à savoir l'emploi du mot abolitionniste par les prohibitionnistes.
Il est clair que les prohibitionnistes veulent suggérer, en utilisant le mot abolitionniste, que la criminalisation de la GPA ou de la prostitution s'apparente à la lutte contre l'esclavage. Or l'esclavage consiste à nier la liberté d'un être humain et à l'utiliser comme un moyen, sans respecter sa volonté.
C'est ici tout le contraire, les prohibitionnistes interdisent, sans tenir compte de l'avis des personnes concernées, et contre leur volonté maintes fois réaffirmée.
L'utilisation du terme abolitionniste/isme par des dirigistes qui procèdent par répression pénale est donc totalement inappropriée ainsi que vous l'indiquez vous-même :"La prohibition interdit, l’abolition vise à la disparition."
En ce qui concerne ma supposée adhésion au dualisme classique cartésien, je la nie to-ta-le-ment.
Le discours devient là un peu plus compliqué.
Il y a effectivement plusieurs façons de situer la phrase : "On n’est pas propriétaire de son corps, on “est” son corps".
On peut la considérer du point de vue philosophique ontologique.
On peut la considérer du point de vue de la philosophie politique.
On peut la considérer d'un point de vue sociologique.
Sylviane Agacinski, je pense que cela est flagrant, mélange les trois points de vue. Elle utilise un point de vue ontologique pour en tirer des conclusions politiques et sociologiques.
Ce n'est pas mon cas. Mon analyse est exclusivement du domaine de la philosophie politique, elle respecte l'individualisme méthodologique et elle s'intéresse à la définition même de la propriété.
Du point de vue ontologique je ne suis ni moniste ni dualiste. Je ne rentre pas dans ce débat et je prétends même que ma démonstration par l'absurde, qui se place uniquement dans le champ de la philosophie politique peut être approuvée aussi bien par un moniste que par un dualiste. Je n'ai aucune intention de débattre de l'unité du corps et de la pensée ou de leur séparation, ni de l'existence de Dieu, ni de la notion de mérite, je ne suis ni compatibiliste ni incompatibiliste.
Ces points de vue étant par essence irréfutables, ils ne peuvent servir de base à une démonstration dans le domaine de la philosophie politique.
Or le fait est que Sylviane Agacinski utilise la formule de Merleau Ponty dans un champ philosophique bien plus large que son auteur.
La séparation entre le corps et l'esprit que j'évoque est une distinction empirique : je peux transmettre un raisonnement à plusieurs personnes, je ne peux pas transmettre mon corps à plusieurs personnes. Il y a là une catégorisation que ne récuserait pas un pur moniste. Ce dernier jugera simplement que la distinction n'est pas ontologique mais qu'elle est simplement un "classement commode".
Donc ce sentiment de la séparation du corps et de l'esprit est bien une donnée de la nature humaine.
Soit le corps est vraiment séparé de l'esprit (dualisme) soit les êtres humains ont cette "impression" et très naturellement établissent cette distinction, alors même que le corps et l'esprit ne font qu'un (monisme). Il n'en demeure pas moins que sur le plan de la philosophie politique cette différence existe bel et bien et qu'elle n'implique absolument pas une adhésion au dualisme cartésien.
Le tour de passe-passe de Sylviane Agacinski consiste à utiliser une proposition ontologique : "on est son corps", pour en tirer des conclusions dans la dimension politique de la philosophie : "donc on est pas propriétaire de son corps". C'est une véritable escroquerie intellectuelle et je m'étonne que tant de commentateurs de mon article (ici et sur Rue89) soient tombés dans le panneau qui consiste à m'accuser d'un dualisme cartésien primaire sans s’apercevoir que c'est justement Sylviane Agacinski qui utilise une position moniste axiomatique et primaire pour prétendre en tirer des conclusions sur un plan politique et sociologique.
Car la notion de propriété est exclusivement du domaine de la philosophie politique: c'est la séparation perceptible du corps et de l'esprit qui fait naitre la notion de propriété. C'est la définition même de la propriété. Il n'existe pas de propriété antérieure à celle du corps ni, comme je l'ai démontré à minima, de propriété sans son corps. Celui qui essaye de démontrer qu'on est pas propriétaire de son corps - dans le domaine de la philosophie politique - est obligé d'utiliser le concept de propriété pour mener à bien sa démonstration, ce qui la rend invalide : CQFD.
4 De random -
(a) « Il est clair que les prohibitionnistes veulent suggérer, en utilisant le mot abolitionniste ». Vous admettez implicitement que prohibitionnisme et abolitionnisme sont une seule et même chose (l’un étant l’habillage de l’autre) alors que justement j’explique en quoi les deux diffèrent. J’ai toujours eu du mal avec la pensée rothbardienne sur la volonté. Ou bien la volonté fait partie de la nature de l’Homme et dans ce cas, personne ne peut lui prendre ou bien elle est soumise à des aléas extérieurs à l’individu et dans ce cas, des contraintes par exemple économiques peuvent contraindre ou conditionner cette volonté. Je ne sais si on peut faire aussi facilement que vous le parallèle prostitution/esclavage via le mot abolitionnisme, ce terme étant également employé par les opposants à la peine de mort par exemple.
(b) « les prohibitionnistes interdisent, sans tenir compte de l'avis des personnes concernées ». Exact, c’est bien pour cela que la position abolitionniste diffère. Ses défenseurs ne veulent nullement interdire aux individus de se prostituer, ils interdisent par contre aux individus de recourir à la prostitution. Différence fondamentale aussi bien théorique que pratique, notamment pour la sécurité des prostituées qui dans le cadre de la prohibition peuvent être condamnées alors que dans le cas de l’abolition elles ne risquent rien.
(c) Ce qui est assez déroutant c’est que vous reprochez à S. Agacinski d’utiliser un énoncé de nature ontologique pour tirer des conclusions politiques alors que c’est justement ses opposants qui déforment l’énoncé « mon corps m’appartient », slogan politique, en énoncé ontologique pour justifier la prostitution, en faisant appel par exemple au « droit naturel ».
(d) Vous pouvez transmettre un raisonnement à plusieurs personnes, je suis entièrement d’accord avec vous. Mais transmettre un raisonnement n’est pas transmettre votre esprit. Tout comme votre corps, vous ne pouvez transmettre votre esprit à personne. Justement, si l’esprit d’un individu pouvait être transmis à un autre, son individualité, l’unicité de l’individu ne pourrait reposer que sur son corps ce qui rendrait encore plus vraie, la proposition d’ Agacinski !
(e) « Soit le corps est vraiment séparé de l'esprit (dualisme) soit les êtres humains ont cette "impression" et très naturellement établissent cette distinction, alors même que le corps et l'esprit ne font qu'un (monisme). » Cette disjonction elle-même mérite d’être interrogée car elle utilise des concepts (corps/esprit) qui ne sont pas bien définis (puisqu’en fonction de la branche de l’alternative, la nature du corps ou de l’esprit varie) et elle suppose l’existence d’une ou de deux substances, mais on peut très bien construire un système sans substances ou avec plus de deux substances. Cela ne signifie pas qu’on ne doit plus employer des concepts comme corps et esprit mais ne plus leur donner une existence réelle dont on tirerait des énoncés sur la « nature humaine », quasiment apodictiques, mais les prendre comme des outils pour communiquer, décrire. Ce qui implique, d’ailleurs, que leur définition ne soit pas figée.
(f) A partir du moment où cette question ontologique (qui pourra paraître sans intérêt) est évacuée, on peut en revenir comme je l’ai fait remarquer au véritable sens du slogan « mon corps m’appartient » (qui fait appel à la conception commune du corps), c'est-à-dire, je me répète, avoir le droit d’agir ou de ne pas agir dans des domaines qui relèvent de l’intime et de l’individualité (comme avoir des relations sexuelles avec qui on souhaite, avoir ou non des enfants, notamment). Et comme je l’ai dit plus haut, la position abolitionniste ne viole aucunement ce principe, une prostituée restant libre d’avoir des relations sexuelles avec qui elle veut, et dans le cas abolitionniste, pouvant même faire payer (celui qui n’a pas le droit c’est le client, mais là on n’est plus dans la question de disposer de son corps comme bon nous semble).
(g) Utiliser un concept pour nier une proposition utilisant ce concept (on peut même utiliser un concept pour nier son existence (par exemple supposer qu’existe un triangle à 3 angles droits) ne pose aucun problème, c’est le principe d’une démonstration par l’absurde. Ce qui pose problème ce sont le autoréférences, notamment négatives ; Par exemple dire ou écrire : « je n’existe pas ». Cette proposition ne peut être vraie sans être contradictoire (encore que cela soulève des questions comme qui est « je », ou encore des questions de logique encore plus profondes traitées notamment par H. Putnam et l’expérience de pensée du cerveau dans la cave). Mais ici, je n’en vois pas trace.
5 De alcodu -
J'ai beaucoup de mal à vous suivre.
- Il me semble qu'interdire aux individus de recourir à la prostitution c'est bien prohiber. Que l'on pénalise le fournisseur ou le client, il s'agit bien d'empêcher la vente sous la menace de la force et de la violence d’État. Donc dans le cas d'une mère porteuse ou d'une prostituée, il s'agit bien de l'empêcher d'utiliser son corps comme elle l'entend.
Votre argument qui considère que les prostituées peuvent faire ce qu'elle veulent et même faire payer leurs relations sexuelles est complètement spécieux. Il est évident que si on interdit au public de monter dans un taxi sous peine d'amende on interdit bien, de fait, l'activité de taxi.
- le droit naturel moderne, c'est à dire le droit qui convient le mieux à la nature de l'homme n'a rien à voir avec l'ontologie. C'est de la pure philosophie politique. Où voyez vous de l'ontologie là dedans ??
- la question ontologique est effectivement pour moi sans intérêt, ce sont mes contradicteurs qui l'ont abordée en prétendant que ma position s'apparentait au dualisme cartésien ce qui est évidemment faux.
6 De random -
- Comme je l’ai dit, la prohibition concerne à la fois le consommateur/acheteur et le producteur/vendeur. Si on veut donner un contenu politique pratique à l’abolitionnisme, on s’aperçoit que cette position défend uniquement la sanction, la condamnation pour le consommateur/acheteur. C’est en cela que je rejette le terme de prohibition. Autrement dit, la coercition s’applique uniquement au client/consommateur et non pas à la prostituée (ou au prostitué). Si aucune coercition ne s’applique à celle-ci, on ne peut parler d’atteinte à sa liberté, à ses droits naturels, à son droit de disposer de son corps.
- Interdire et empêcher sont deux choses distinctes. Vous pouvez être interdit de prendre un taxi (sous peine d’amende pour vous), vous pouvez être empêché de prendre un taxi (tous pleins). Dans le premier cas, il y a coercition mais pas dans le second. Pour la prostituée c’est exactement la même chose, elle n’est nullement interdite de se prostituer, mais elle est empêchée (encore que dans les faits, elle trouvera peut-être des clients qui se risqueront, mais ce sera uniquement à leurs risques et périls).
- Désolé mais quand on parle de « nature humaine », on fait bien de l’ontologie. L’ontologie est ce qui étudie l’essence, la nature des choses. Que cela débouche sur une philosophie politique c’est possible, c’est d’ailleurs ce qu’on observe chez Rothbard.
- Pour ma part j’ai parlé de dualisme corps/esprit, en faisant bien attention de ne pas mêler Descartes (même s’il est vrai que le terme « classique » a pu être pris abusivement dans ce sens). Ce dualisme n’est pas uniquement cartésien, par contre j’ai parlé de cartésianisme à propos de la conception sur les animaux.
7 De alcodu -
Entre être empêché de prendre un taxi parce qu'ils sont tous plein, et être empêché de prendre un taxi parce que les clients ont peur d'avoir une amende, il y a une différence fondamentale. Cette différence c'est que dans le deuxième cas il y une prohibition de la transaction par punition du client.
8 De random -
Regardons ce qui se passe pour la prostituée. La différence avec l’exemple du taxi c’est que celle-ci n’est pas acheteuse mais vendeuse, mon exemple n’est donc pas tout à fait analogue. Il faut donc d’abord le revoir. Dans un cas, on interdit l’activité de taxi (on n’a pas le droit de prendre quelqu’un dans sa voiture en échange d’argent), il y a coercition (amende, prison, etc), le taximan subit donc une menace physique sur lui ou sa propriété. Dans un autre cas, on empêche l’activité de taxi (en refusant de mettre en place des bornes, des voies de taxi, en allongeant les délais pour obtenir une plaque, et pourquoi pas en interdisant aux individus de prendre un taxi (par coercition, amendes, prison, etc)). Comment peut-on alors parler de coercition envers le taximan, puisqu’en aucun cas il ne subit une contrainte ou une menace physique sur sa personne ou sa propriété ? On peut estimer qu’on exerce une coercition indirecte en jouant sur l’aspect monétaire et financier (puisque le taximan aura tout intérêt à exercer une autre activité) mais dans ce cas, cela soulève de nombreuses questions sur le sens de coercition….
Concernant la prostitution, en effet, on interdit une transaction monétaire mais on n’interdit nullement à chacun d’être maître lui-même. Interdire une transaction monétaire ce n’est pas interdire à quelqu’un de coucher ou de ne pas coucher avec qui il souhaite, par exemple. Il faut distinguer interdiction d’une transaction monétaire et interdiction d’un comportement (homosexualité, sexualité hors mariage, etc). Dans le second cas, on viole clairement ce qu’on nomme le droit de disposer de son corps.
9 De alcodu -
Une coercition indirecte est une coercition. D'ailleurs les prostitué(e)s ne s'y sont pas trompées et protestent toujours contre "l'interdiction d'exercer leur métier", car il s'agit bien de cela.
Votre argumentation n'est donc pas seulement absurde, elle est également inquiétante, elle permet de justifier n'importe quel forme de coercition marchande. C'est en quelque sorte, la route hypocrite et tranquille de la servitude.
10 De random -
« Une coercition indirecte est une coercition ». je ne pensais pas que vous tomberiez dans le panneau tellement c’était évident ! Donc une coercition indirecte est une coercition. OK. Donc le fait qu’une femme se prostitue pour se nourrir ou nourrir relève de la coercition ! Coercition indirecte monétaire, économique et financière. Nous sommes donc d’accord !
Problème de votre définition de la coercition : je ne peux pas prendre le train parce que je n’ai pas assez d’argent, il y a coercition également. Je suis contraint de ne pas prendre le train ! Pas certain que vous vouliez en arriver là….
11 De alcodu -
Hou, nous en sommes là, confusion entre liberté et capacité. Relisez Rothbard, vous n'avez pas tout compris.
12 De random -
Merci mais j'ai très bien lu Rothbard. Rothbard prend l'exemple du bond au dessus de l'océan, pour différencier liberté et puissance d'agir, pour justifier sa théorie politique. Habile mais malhonnête car il prend un exemple physiquement impossible. Or, la puissance d'agir ce n'est pas nécessairement vouloir quelque chose de physiquement impossible.
Enfin, si on admet qu'il y a coercition pour la taximan qui sera contraint de ne pas exercer l'activité de taxi du fait de contraintes financières et monétaires (aucun client, donc aucun revenu), on doit en conclure de même pour mon exemple. A un moment il faut choisir !
13 De Adrian -
Discussion très intéressante.
@random:
Bravo pour le piège tendu à propos de la coercition indirecte. C'est peut être un peu présomptueux mais je ne me serais pas fait avoir
Ici je pense qu'effectivement dans la position abolitionniste il n'y a pas de coercition contre la prostituée mais bel et bien contre le client. La position abolitionniste est tout de même une position prohibitionniste puisqu'il y a bien quelque chose de prohibé, l'achat de service sexuel. Et comme toutes positions prohibitionnistes, elle ne respecte pas la philosophie politique libérale.
Si on considère que la relation sexuelle est autorisée entre un homme et une prostitué, puisque l'abolitionnisme n'interdit pas cela tant que ce n'est pas marchand, et qu'ensuite l'homme fait don d'une certaine quantité d'argent à cette femme, comment l’abolitionnisme justifie le fait d'utiliser la violence contre un homme qui n'a rien fait de mal à part avoir un rapport sexuel avec une femme consentante et donner de l'argent à une femme dans le besoin? Bien sur, si l'exemple ne suffit pas, on pourrait aller plus loin en considérant l'argent tombant du sac en sortant ou même complexifier le système avec un don à une coopérative d'aide aux femmes prostituées, don libre même si la prostitué sera d'autant plus consentante que le don est important.