Quelques serviettes sur la plage
Premier cas de figure vous arrivez sur une crique déserte. Vous choisissez évidemment le meilleur coin, celui ou l'eau est claire, le sable le plus blanc et vous posez vos affaires. Ce qui se passe alors est très clairement l'auto attribution d'une propriété temporaire. Vous avez le sentiment justifié d'être le propriétaire de votre emplacement. Vous n'avez rien payé mais vous éprouvez le droit de conserver la zone sous votre contrôle privatif, c'est à dire en en excluant les autres. Si une famille venait à se présenter sur la crique, il est clair qu'elle ne pourrait pas s'installer à votre emplacement, et non seulement ça, mais elle devrait respecter une certaine distance pour placer ses affaires. Si les nouveaux arrivants se collaient à vous cela serait ressenti comme sans gène voire un tantinet agressif. Que les insupportables marmots des voisins viennent projeter du sable sur votre serviette et ils seront reçus soit avec une franche hostilité soit avec un sourire crispé : « allez jouer plus loin les enfants ! » On a bien là l'expression d'un « droit de » propriété, qui est profondément ancré dans la nature humaine et qui n'a jamais été accordé par personne, ni par un « chef de plage », ni par la législation.
Densité moyenne de serviettes
Dans le deuxième cas de figure la plage se remplit et la zone privative entourant chaque occupant se réduit. Votre intérêt en tant que nouvel arrivant consiste à vous placer dans un endroit relativement dégagé. Vous cherchez donc un « trou ». En faisant cela vous modifiez la distance minimum d'implantation acceptable par vos voisins. Il devient de plus en plus difficile de râler si quelqu'un se rapproche car il en a tacitement le droit.
Il existe une multitude d'autres règles qui s'appliquent aux différents cas schématisés ici. Par exemple dans notre deuxième cas, un homme mur dans la force de l'âge évitera de placer sa serviette entre deux groupes de jeunes filles. L'emplacement est implicitement « réservé » à un groupe de garçons du même âge. Autre exemple, s'il y a des algues dans l'eau à un endroit de la plage mais pas à un autre, il est tacitement admis que la densité de serviettes sera plus forte en face de la zone dégagée. Le fait de s'installer là, au lieu d'aller occuper un emplacement plus vaste ailleurs sera toléré.
Les serviettes se touchent
Le troisième cas de figure c'est la
plage de Juan-les-pins le 15 août. Densité maximum avec des règles légèrement
modifiées et étendues par rapport aux situations précédentes. La zone de
propriété privée reste clairement la serviette mais ces dernières en viennent à
se toucher. Il n'y a pratiquement plus d'espace disponible, c'est à dire de
sable visible, sauf celui qu'une famille ou un groupe se sera réservé à
l'intérieur de l'espace délimité par ses propres serviettes. Les anciens
propriétaires, ceux qui sont arrivés tôt le matin
parce-qu'ils-n'ont-pas-passé-la-nuit-en-boite, eux, disposent d'un espace vital
supérieur aux autres. Il ne peut plus y avoir de nouvel arrivant sauf à
se faire céder un emplacement privatif par un groupe connu ou à guetter un
départ.
Il y a aussi des règles assez complexes de non enclavement. Tout groupe de
serviettes doit pouvoir accéder à la mer et sortir de la plage. Si les
propriétés se touchent au sens propre, il en résultera des « droits de
passage », qui permettront à un vacancier de piétiner le bord, attention,
pas le centre, des serviettes situées sur le chemin de la baignade ou vers la
sortie.
Règles tacites, ordre spontané
Le propre de toutes ces règles, comme du sentiment de propriété, c'est qu'elles n'ont jamais été écrites ou décrétées par personne. C'est un cas d'école d'un ordre spontané libéral particulièrement efficace et, on le remarquera, assez égalitaire dans ce cas précis.
L'interaction des différents intérêts particuliers dans la limite de certaines règles intuitives, produit un ordre qui n'a pas été décidé par un législateur et qui n'obéit à aucun dessein. C'est en quelque sorte, « la main invisible de la plage ».
1 De alcodu -
Sur Contrepoints :
http://www.contrepoints.org/2012/08...
Sur Rue89 :
http://blogs.rue89.com/liberaux-fie...