La prohibition en marche
Rappelons que Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits de la femme, a
réaffirmé qu'elle veut "voir la prostitution disparaître". Pour cela elle
envisage sérieusement la pénalisation des clients, c'est à dire en fait
l'interdiction pure et simple de cette activité.
La frange puritaine du socialisme rejoint donc la droite conservatrice dans une
espèce de "front constructiviste". Il s'agit pour les prohibitionnistes de
"fabriquer" un être humain meilleur au moyen de lois, c'est à dire de contrôles
et d'interdictions. Après une hypothétique "loi NVB", les tenants de
l'interdiction pensent probablement que les hommes ne chercheront plus à
coucher avec des femmes pour de l'argent. Ils seront "guéris" par cette mini
révolution culturelle qui amènera l’État à pouvoir légitimement contrôler la
nature des relations sexuelles entre les individus pour déterminer si, tenez
vous bien, elles étaient tarifées ou pas !
Mais pour faire respecter la loi, il faudra un appareil de surveillance et de
répression dont on peut déjà deviner la nature insupportable et menaçante :
contrôle des communications téléphoniques et des connexions Internet des
présumé(e)s prostitué(e)s et de leurs clients, surveillance des comptes
bancaires, des hôtels, des locations, et même des déplacements suspects. Et
puis, pourquoi pas, séances de rééducation pour sensibiliser les récalcitrants
sur l'immoralité de leurs actes, avec visionnage obligatoire de films sur la
maltraitance et le proxénétisme violent. Car cette intrusion de l’État dans la
sphère privée utilise bien entendu l'inusable alibi de la "protection" des
prostitué(e)s contre la violence des réseaux mafieux, et ce, alors même
que les prostitué(e)s du STRASS clament qu'ils/elles ne se
sentent pas menacé(e)s et font même l'éloge de leurs clients.
C'est au nom de cette "protection" que l'on interdisait naguère aux femmes de
travailler, de vivre seules ou de voyager ; la gauche devrait s'en souvenir. Il
est par ailleurs vraiment curieux de vouloir punir le consommateur pour châtier
des proxénètes violents. Il y aurait certainement matière à rechercher une
forme d'inconstitutionnalité dans cette pénalisation des clients, dont le
législateur avoue qu'elle a pour but d'empêcher des violences commises par des
tiers qui eux, ne seront pas inquiétés.
Comment en est-on arrivé là ?
Comment une telle horreur, qui est une totale négation du droit de propriété
des femmes et des hommes sur leurs corps et sur les fruits de leur travail,
a-t-elle pu prospérer (à défaut de naître) dans des esprits dits "de gauche"
?
Pas besoin d'être grand clerc pour l'expliquer dans le cas présent.
Premièrement, la prostitution est la combinaison de deux activités
particulièrement impures aux yeux de la sociale-chrétienté/islamité, à savoir
le sexe-plaisir et le libre commerce. Deuxièmement, en cette période de crise
où toute initiative couteuse est bannie, l'interdiction de la prostitution
permet aux femmes et aux hommes de l’État "d'agir" sans dépenser (tout au moins
le croit-on, puisque la mesure aura, comme pour l'interdiction des drogues, des
effets économiques dévastateurs à moyen et long terme).
On le voit, la prohibition du travail sexuel est clairement de nature
totalitaire, et pourtant elle apparaît dans une démocratie. Est-ce un paradoxe
? Comment peut-on parler de totalitarisme dans une démocratie ? Le titre de ce
billet est-il une provocation inutile et déplacée ?
Définition du totalitarisme
Pour répondre à ces questions il faut revenir à la définition du
totalitarisme qui est absolument fondamentale si on s'intéresse à la
philosophie politique. Il faut en particulier corriger l'idée que le
totalitarisme serait un "niveau supérieur" de la dictature, une espèce de super
tyrannie. Car, en reprenant la terminologie de Philippe Nemo, il faut bien
distinguer le pouvoir de l’État et le pouvoir dans l’État. Le couple
démocratie-dictature, désigne deux façons dont s'organise le pouvoir dans
l’État. Indiscutablement, nous vivons dans une démocratie. En effet, même si le
bipartisme a trouvé des moyens de réduire l'influence et le pouvoir des
nouveaux entrants, on peut considérer que nos institutions permettent bien une
alternance du pouvoir dans l’État.
Le totalitarisme, lui, désigne le pouvoir extrême de l’État sur la société. En
d'autres termes, plus l’État s'attribue de prérogatives sur la vie courante des
individus, plus il les contraint de vivre suivant un modèle prédéfini, plus il
est totalitaire. Le contraire du totalitarisme est donc le libéralisme et non
la démocratie. Un État démocratique peut parfaitement devenir totalitaire s'il
arrive à suffisamment réduire le champ de la vie privée de ses citoyens, s'il
prend des décisions à leur place pour tous les actes importants de la vie, s'il
condamne les comportements marginaux.
Démocratie libérale vs démocratie totalitaire
Les dérives totalitaires de la démocratie sont extrêmement graves, d'une
part parce qu'elles sont immédiatement injustes pour les minorités concernées
et d'autre part parce qu'elles installent un appareil coercitif et répressif
dont les desseins peuvent facilement être détournés en cas de changement de
nature du pouvoir dans l’État. Du pain béni pour les extrêmes ultra-dirigistes
qui seraient ravies de trouver de tels dispositifs en place si leur "grand
soir" arrivait.
La grandeur d'une démocratie libérale c'est de garantir les droits des
minorités, ethniques, religieuses ou sexuelles, mais aussi de tous ceux dont le
comportement ou le mode de vie ne plait pas à la majorité. Ce que la plupart
considèrent comme un vice ne doit pas être transformé en crime par la loi. La
prostitution concerne des adultes consentants qui ne nuisent pas aux droits de
leurs semblables. Or comme le rappelle le très bel article V de notre
Déclaration des droits de l'homme de 1789, la loi n'a pas tous les droits.
Le garde-fou, ici, n'est pas la démocratie, mais les droits fondamentaux de
l'être humain d'agir librement et de disposer des fruits de son travail.
1 De françois J -
Au secours !
2 De Frère CAILLIAU -
Faire respecter par la force une loi juste ne relève pas du totalitarisme étatique !! D'autre part, on voit mal sous quel prétexte écrire une loi qui légaliserait une activité lucrative jugée immorale depuis la nuit des temps, car dégradante pour les personnes qui s'y livrent dans les conditions de détresse que l'on sait. Les témoignages abondent à ce sujet !