Alain Cohen-Dumouchel interviewé par Eric Lange
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L'interview était prévue sur l'opération Six minutes pour les lumières, mais
Eric Lange est manifestement intrigué par le concept de Gauche Libérale. Il me
faut donc expliquer rapidement et en direct qu'on peut être de gauche et
refuser l'interventionnisme d'Etat. Je n'ai pas eu la présence d'esprit de
citer l'exemple, pourtant d'actualité du Front National qui plaide pour plus
d'Etat, plus de services publics, plus de police et plus de gardes aux
frontières. Doit-on en déduire pour autant que le Front National est de gauche
aurais-je du demander ?
1 De Alf -
Le présentateur, il faudra lui envoyer l'adresse des verts libéraux suisses.
http://www.vertliberaux.ch/
2 De Gu Si Fang -
Bien joué ! Quelques idées pour présenter cet argument :
Dans l'esprit de beaucoup de gens, la gauche aujourd'hui se définit à partir de mots comme : solidarité, redistribution, Le libéralisme, lorsqu'il n'est pas caricaturé, est plutôt rattaché au droit de propriété, et à l'intérêt personnel notamment le profit. La plupart des gens considèrent que les deux sont incompatibles. On ne peut pas simultanément faire valoir sa propriété, et aider autrui, être égoïste et généreux.
Personnellement, j'irais directement au coeur de ce débat. Y a-t-il vraiment contradiction entre propriété et solidarité ? Non, un propriétaire peut être charitable, altruiste, mécène, etc. De nombreuses entrepreneurs solidaires existent : assureurs, mutuelles, discrimination tarifaire (le fait de faire payer plus cher le roaming sur les mobiles), etc. N'est-il pas un peu naïf de s'en remettre à l'altruisme qui, s'il existe, est une denrée rare ? Je ne pense pas que ce soit une denrée rare : là encore il existe beaucoup d'exemples, à commencer par le nombre de bénévoles, d'ONG, et d'altruiste invisibles qui aident leur prochain.
Et le cas de ceux qui ne sont pas altruistes, qui refusent de participer à la solidarité ? Et le cas des victimes que personne n'aide ? Ces deux situations ne justifient-elles pas une intervention de l'Etat ? Sur le premier point le libéral se distingue de la gauche traditionnelle et il faut l'assumer : il y a des gens quirefusent d'être solidaire et se comporte obastinément comme des égoïstes, so be it ! Ne perdons pas de vue la finalité : il ne s'agit pas de forcer tout le monde à adopter des valeurs que certains considèrent comme supérieures - danger ! - mais d'aider les personnes en difficulté. Les altruistes sont assez nombreux comme ça.
Quant à l'intervention de l'Etat, il est facile de montrer des cas où, sous couvert de solidarité à court terme, immédiate, elle a des effets exactement contraires à plus long terme. Là, le libéral met sa casquette d'économiste et oblige les gens à utiliser leur raison : l'intérêt bien compris exige parfois de ne pas se limiter aux effets immédiats d'une mesure, mais d'examiner objectivement ses effets plus lointains.
Des exemples concrets : Proudhon est très bien, Bastiat aussi sur les sociétés de secours mutuels, Destutt de Tracy qui a une position assez originale sur les inégalités :
Des déclamateurs ont soutenu que l'inégalité en général est utile, et que c'est un bienfait dont nous devons remercier la Providence. Je n'ai qu'un mot à leur répondre. Entre des êtres sensibles fréquemment opposés d'intérêts, la justice est le plus grand des biens, car elle seule peut les concilier sans qu'aucun ait à se plaindre. Donc l'inégalité est un mal, non pas qu'elle soit une injustice en elle-même, mais parce qu'elle est un puissant appui pour l'injustice, toutes les fois que la justice est pour le faible.
Toute inégalité de moyens et de facultés est au fond une inégalité de pouvoir. Cependant, quand on veut entrer dans quelques détails, on peut et on doit distinguer l'inégalité de pouvoir proprement dite et l'inégalité de richesses.
La première est la plus fâcheuse : elle soumet la personne elle-même. Elle existe dans toute son horreur entre les hommes bruts et sauvages, elle y met le plus faible à la merci du plus fort. C'est elle qui est cause qu'il n'y a entre eux que le moins de relations qu'ils peuvent, car elle deviendrait insupportable. Si on ne l'y a pas toujours remarquée, c'est qu'elle n'y est guère accompagnée de l'inégalité de richesses, qui est celle qui nous frappe le plus, parce que nous l'avons toujours sous les yeux.
L'organisation sociale a pour objet de combattre l'inégalité de pouvoir, et le plus souvent elle la fait cesser ou du moins elle la diminue. Des hommes, révoltés des abus dont la société fourmille encore, ont prétendu qu'au contraire elle augmentait cette inégalité, et il faut avouer que, quand elle perd totalement de vue sa destination, elle justifie les reproches de ses amers détracteurs. Par exemple, partout où elle conserve l'esclavage proprement dit, il est certain que l'indépendance sauvage avec tous ses dangers lui est encore préférable ; mais il faut convenir pourtant que le but de la société n'est pas cela, et qu'elle tend, le plus souvent avec succès, à diminuer l'inégalité de pouvoir.
En diminuant l'inégalité de pouvoir, et par là établissant la sûreté, la société produit le développement de toutes nos facultés et accroît nos richesses, c'est-à-dire nos moyens d'existence et de jouissances. Mais plus nos facultés se développent, plus leur inégalité paraît et augmente, et elle amène bientôt l'inégalité de richesses, qui entraîne celle d'instruction, de capacité, et d'influence. Voilà, ce me semble, en deux mots, les avantages et les inconvénients de la société. Cette vue nous montre ce que l'on a droit d'en attendre et ce que l'on doit faire pour la perfectionner.
Puisque le but de la société est de diminuer l'inégalité de pouvoir, elle doit viser à le remplir, et puisque son inconvénient est de favoriser l'inégalité de richesses, elle doit toujours s'occuper de la diminuer, toutefois par des moyens doux et jamais violents ; car il faut toujours se souvenir que la base fondamentale de la société est le respect de la propriété et sa garantie contre toute violence.
http://www.institutcoppet.org/2011/...
Cdt,
GSF
3 De tetatutelle -
"Je ne pense pas que ce soit une denrée rare"
Je ne suis pas d'accord avec vous, c'en est une effectivement ! Pour le prouver tout simple : prenez une caméra ou un magnétophone et mener un micro-trottoir dans la rue, sur la question toute simple : "que feriez-vous si vous étiez riche" ? Et vous vous apercevrez que sur dix personnes interrogées, "une seule vous dira qu'elle en donnerait une partie aux pauvres", les neufs autres vous sortiront "les belles bagnoles et les belles vacances" ! Si les bénévoles et organisations que vous citez réussissent à agir efficacement c'est parce que précisément elles arrivent "en complément du secours étatique", car dans ces conditions leurs actions "requièrent moins de dons" (un bénévole associatif ne peut oeuvrer si la caisse est vide !).
"Il ne s'agit pas de forcer tout le monde à adopter des valeurs que certains considèrent comme supérieures"
Tout le monde non, c'est certain et même avec l'impôt on y arrivera pas, c'est une évidence. Mais si celui-ci est indispensable en ce domaine c'est parce que, comme je viens de le démontrer, ceux qui les adoptent sont "trop peu nombreux" !
"Quant à l'intervention de l'Etat, il est facile de montrer des cas où, sous couvert de solidarité à court terme, immédiate, elle a des effets exactement contraires à plus long terme. Là, le libéral met sa casquette d'économiste et oblige les gens à utiliser leur raison : l'intérêt bien compris exige parfois de ne pas se limiter aux effets immédiats d'une mesure, mais d'examiner objectivement ses effets plus lointains."
Alors là je suis encore plus radicalement en désaccord avec vous !! Désolée mais l'organisme humain a des règles minimales de fonctionnement contre lesquelles même la "raison" ne peut pas aller, comme la nécessité "d'avoir quelque chose dans l'estomac et huit heures de sommeil dans un endroit chaud pour trouver la force de travailler" ! Demander à un SDF "d'utiliser sa raison pour qu'il essaie de comprendre que ça n'est pas forcément l'aider que de lui donner un premier sandwich sans exiger de lui un travail en retour pour ce premier", parce que sans quoi, "à long terme, il risquerait de se complaire dans une situation d'assisté et ne jamais vouloir travailler", c'est se compoter avec lui de façon inhumaine, désolée il y a des limites ! Et puis aussi les cas de "faiblesse" sont nombreux et multiples et ne peuvent pas tous se traiter de la même manière : certaines personnes faibles, malgré toute leur bonne volonté, "n'arrivent pas à trouver en elles la force de s'en sortir seule ou de dépasser leur handicap", j'en fais personnellement partie et ce sont précisément certaines personnes de mon passé qui, parce que précisément elles ont agi avec moi selon votre principe, elles ont "aggravé mon cas au lieu de l'améliorer" !!..... Au lieu de rester borné sur un principe "purement intellectuel", faites un peu d'empirisme et aller sur le terrain pour étudier "chaque cas personnel" : et vous vous apercevrez vite qu'en la matière avec certaines personnes on ne peut faire que "ce qu'on peut, et malheureusement non ce qu'on voudrait et qui nous semble être le meilleur pour eux ou elles" !
4 De francky -
Pour Tetatutelle: Je n ai rien compris à votre charabia....
5 De tetatutelle -
Et bien donnez-moi un exemple de ce que vous n'avez pas compris, posez-moi quelques questions et je me ferai un plaisir d'y répondre !
(Je dis cela parce qu'une remarque formulée de cette manière sonne quelque peu comme un reproche......).
6 De Hadrien28 -
Concernant votre exemple du SDF : oui on peut lui donner un sandwich, mais il risque de continuer à le demander le lendemain, surlendemain, etc. Est-ce humain que de le laisser et de l'entretenir dans cette situation ? Et pourquoi est-il SDF ?
Au lieu de traiter la conséquence (le fait d'être SDF), de donner un toit et des repas aux SDF, il faut traiter la cause. S'il est sans emploi, c'est probablement à cause du salaire minimum qui empêche les très pauvres de travailler et protège les autres déjà insérés sur le marché de l'emploi. S'il travaille mais est sans logis, c'est parce que les loyers sont trop chers à cause du blocage du foncier (on est dans une bulle immobilière entretenue).
Alors il faut sans doute des mesures correctives d'urgence pour traiter les conséquences (nourrir le SDF et l'héberger s'il souhaite -- beaucoup refusent l'hébergement), mais aussi prendre les mesures préventives pour traiter les causes (suppression du salaire minimum et renforcement des mécanismes de redistribution via l'impôt négatif notamment).
Lorsqu'on est faible, et que le marché de l'emploi est verrouillé par le salaire minimum, cela renforce encore la faiblesse et le découragement. On est souvent faible quand on se sent coincé, sans issues de secours, qu'on n'arrive pas à faire des projets parce que tout est bouché.
7 De Hadrien28 -
"Pour le prouver tout simple : prenez une caméra ou un magnétophone et mener un micro-trottoir dans la rue, sur la question toute simple : "que feriez-vous si vous étiez riche" ?"
La question amène souvent la réponse voulue... Et comme l'Etat s'occupe des pauvres, il est normal que peu de monde réponde qu'il va donner à des oeuvres caritatives.
Si vous demandiez : "que feriez-vous si un membre de votre famille ou un ami était dans le besoin ?" Alors la réponse serait probablement "je l'aiderais au maximum" avec peut-être dans un cas sur 10 la réponse "je ne dois rien à ma famille" si la personne interrogée est fâchée avec celle-ci.
8 De alcodu -
Rien à dire Hadrien - d'accord avec tous vos commentaires -
L'impot négatif est une formule qui me séduit de plus en plus - c'est beaucoup plus réaliste et stable que l'allocation universelle.
On peut d'ailleurs envisager des formules dans lesquelles on ne redistribue qu'une fraction de ce qui a été effectivement encaissé en impôts "positifs". De cette manière impossible de faire des promesses inconsidérées. Tout ralentissement économique entraine une baisse automatique des allocations procurées par l'impôt négatif.
9 De tetatutelle -
@ Hadrien :
Entièrement d'accord avec votre analyse quant aux "réglementations barrage" à l'emploi (SMIC et blocage du foncier). D'accord également quant à la nécessité d'agir sur "les deux piliers" secours et prévention. Mais il est "impératif de ne pas négliger le secours", le préventif ne valant toujours que pour "les suivants" ! En effet, quand le SDF est à la rue "le mal est déjà fait", peut-être seulement à moitié et encore récupérable mais dans tous les cas on ne pourra revenir des années en arrière pour tout recommencer à zéro, donc pas d'autre solution que celle de "commencer par lui remplir l'estomac" pour lui fournir la force de "redémarrer" comme il le pourra.
"Comme l'Etat s'occupe des pauvres, il est normal que peu de monde réponde qu'il va donner à des oeuvres caritatives."
Et bien même en modifiant la question et la posant ainsi : "si un jour l'Etat ne s'occupait plus des pauvres et que vous deveniez riche, que feriez-vous de votre argent", je mets ma tête à couper qu'ils répondraient de la même manière qu'ils "commenceraient par se servir eux-mêmes" (et qu'ils donneraient ensuite peut-être aux pauvres "s'il en reste") ! Si je l'affirme, ça n'est pas sans expérience de terrain (et chez mes proches, justement !).
"Si vous demandiez : "que feriez-vous si un membre de votre famille ou un ami était dans le besoin ?" Alors la réponse serait probablement "je l'aiderais au maximum"" :
Alors là, tout dépend si vous posez cette question dans le 16ème arrondissement de Paris ou si vous la posez à Vaux-en-Velin ! Redescendez sur terre, ce ne sont pas "toutes les familles" qui ont les moyens financiers de venir en aide à leurs proches, il a toujours existé de tout temps des familles pauvres obligées de se séparer de leur fils ou fille dès sa majorité qu'il (elle) ait un emploi ou non car ne pouvant plus subvenir à ses besoins !
"Avec peut-être dans un cas sur 10 la réponse "je ne dois rien à ma famille" si la personne interrogée est fâchée avec celle-ci."
Vous avez tout compris ! Hormis le problème financier de certaines familles, l'aide familiale est moralement injuste car "totalement contraire aux libertés individuelles" (je parle bien sûr dans le cas d'une "absence totale d'aide de l'Etat", sujet de notre débat) ! Un jeune dépendant entièrement de sa famille tant qu'il n'a pas trouvé d'emploi est "sommé de continuer à se comporter comme un enfant", ses parents le téléguidant vicieusement avec l'argent tel un marionnettiste le fait avec des ficelles (je ne te donne pas des sous pour t'acheter ceci, pour faire cela........tu ne penses pas comme nous, tu revendiques ton indépendance et t'as un sale caractère mais "t'es bien content quand même d'empocher nos sous" etc.....) ! Or est-il juste d'exiger ainsi d'une personne qu'elle dise "oui papa, oui maman" sa vie entière parce qu'elle a la malchance de ne pas trouver d'emploi (c'est bien sûr différent pour le cas du oisif revendiqué) ? Est-il juste que les libertés individuelles soient "exclusivement réservées à ceux qui travaillent" ? Non, qu'on est l'honnêteté de l'admettre ou non, c'est "fondamentalement injuste" !! ("La liberté, faut la payer", chante Johnny Halliday........et comme c'est réel !.....).
Pour toutes ces raisons, je suis "pour le maintiens de l'aide étatique en matière sociale" (et n'en démors pas !). La maintenir "en libéralisant tout le reste" serait quand même faire faire un grand pas à la France en direction du libéralisme, zut ! Il y a en effet "tant d'autres domaines qu'on peut retirer à l'Etat" et où son intervention là par contre "fait vraiment du mal", comme "la culture", notamment ! A l'évidence le seul moyen d'avoir un jour une culture vraiment libre est de ne lui ôter toute subvention étatique. Car qu'est-ce qu'une "création" obéissant à des consignes ? A l'évidence elle n'en est pas une ! Si l'Etat exige d'un peintre qu'il dessine des fleurs au lieu de lapins ou qu'il fasse ses traits en rouge au lieu de les faire en noir, dans ce cas le créateur ça n'est pas le peintre mais l"'Etat lui-même" (on peut dire sans être parano que dans ce cas on a fait là un bon petit "peintre fonctionnaire" !). Or c'est bel et bien ainsi que les artistes doivent se soumettre pour pouvoir prétendre à leurs subventions ! Et résultats des courses : quand on a ôté sur les radios libres associatives (l'un des exemples les plus typiques) le temps d'antenne consacré à passer les infos de "Monsieur le Maire, de la Région, du Département et autres obligations de base étatique", il en reste environ 20 % pour la couleur de l'antenne (et quand on sait que ces radios sont en grande partie issues du milieu "anarchiste anticapitaliste" et qu'il en reste encore beaucoup de cette tendance parmi les adhérents et les équipes dirigeantes, autant dire qu'ils en sont "ravis" et vous imaginez sans peine les prises de gueule à chaque négociation d'une thune !......).
Bref, avant de retirer de la bouche le sandwich du "méchant pauvre bougre" acheté avec son AAH, il y a beaucoup à reprendre ailleurs (et pour le plus grand bien desdites personnes et structures concernées !)......
10 De tetatutelle -
@ Alain :
"L'impot négatif est une formule qui me séduit de plus en plus - c'est beaucoup plus réaliste et stable que l'allocation universelle."
Moi aussi je garde un attachement à cette forme "d'AU", bien qu'étant passée au MLG. Cela dit j'ai lu il n'y a pas longtemps un article d'une des associations (parce qu'il y en a plusieurs !) défendant le Revenu d'existence disant que l'impôt négatif avait du être abandonné aux Etats-Unis parce que ce fut paraît-il un échec (je ne sais plus pourquoi par contre, excuse-moi, mais pour une raison économique au niveau des ménages) !........(force est de constater qu'AL n'en a jamais dit mot !...). Du coup ça produit une hésitation.......