Bertrand Pulman y adopte une attitude résolument ouverte et même
malicieusement provocatrice. Il ne craint pas d'exposer les cas les plus
extrêmes et les plus dérangeant de la façon la plus neutre. En voici
quelques exemples :
- La mère de Keivan Cohen, soldat israélien de 22 ans abattu à Gaza en 2002
fait prélever le sperme de son fils mort, passe une petite annonce sur Maariv
pour trouver une mère. Elle sélectionne une femme de 35 ans parmi les centaines
de candidates qui répondent à l'annonce. Aux termes de trois ans de débats, la
justice israélienne lui donne raison et son fils mort peut lui donner un petit
fils.
- Alex Patrick, une femme de 28 ans apprend qu'elle est stérile suite à une
chimiothérapie. Sa sœur jumelle Charlotte accepte de l'aider par un don
d'ovocyte. Mais ni Alex ni Charlotte ne peuvent porter l'enfant, c'est
donc la sœur ainée, Helen qui sera la mère porteuse. En juin 2005 nait David,
premier enfant conçu par trois sœurs.
- Tracy, superbe jeune femme née de père asiatique et de mère blanche se
transforme progressivement en homme. Elle prend des traitements hormonaux,
efface sa poitrine par la chirurgie et obtient finalement la rectification de
son état-civil en 2002 en devenant officiellement Thomas Beatie. L'année
suivante Thomas épouse Nancy. Peu après, le couple veut un enfant mais Nancy
qui a déjà deux enfants ne peut plus procréer suite à une hystérectomie. Thomas
arrête ses injections et se fait inséminer avec du sperme de donneur. Le 29
juin 2008 Thomas accouche d'une petite Susan Juliette dont il est
officiellement le papa.
- Un réseau social particulièrement étoffé s'est créé autour du donneur n° 1476
de la Fairfax Cryobank. Donor 1476 families réunit les familles des 36 enfants
nés d'un géniteur inconnu dont on sait qu'il est blond au yeux bleus, et qu'il
travaille dans la finance L'association dispose d'un site web :
www.freewebs.com/donor1476.
Habilement utilisés pour attiser la curiosité ou l'indignation du lecteur,
l'exposé de ces cas (il en a d'autres tout aussi étonnants) ne constitue pas
pour autant la matière principale de l'ouvrage qui est bien plus sérieux et
remarquablement documenté. On y trouvera une brève histoire de chacune des
techniques de la procréation assistée, un état de la législation et de la
jurisprudence pour de nombreux pays avec des exemples de conflits juridiques
marquants, enfin un panorama des choix éthiques posés par chacune des avancées
scientifiques de la procréation assistée. Il faut d'ailleurs saluer ici le brio
avec lequel Bertrand Pulman donne la parole à de nombreux chercheurs et
médecins ayant des points de vue fort différents. Les citations se mêlent
adroitement au texte de l'auteur qui sert de fil d'Ariane dans ce labyrinthe
des morales.
Pour contrebalancer l'avis des "spécialistes" l'ouvrage accorde une attention
particulière aux problèmes et aux souffrances de tous ceux qui font appel à ces
techniques. De nombreuses équipes médicales ont été interrogées sur le terrain.
Toutes se font l'écho des souffrances et de la volonté inébranlable des
patients lorsqu'il s'agit d'obtenir un enfant.
L'un des chapitres s'intitule : "Allons nous vers un eugénisme libéral
?". Les techniques de fécondation in vitro permettent déjà d'éliminer des
risques de maladies génétiques graves mais aussi de choisir le sexe de son
enfant, la couleur de ses yeux, ou sa taille présumée. Faut-il devant cet état
de fait adopter l'attitude quasi-hystérique de ceux pour qui la sélection des
embryons s'apparente obligatoirement au nazisme ? Citant Pierre-André
Taguieff, Bertrand Pulman a le courage d'aborder le sujet calmement en
distinguant bien l'eugénisme collectif et coercitif planifié par une autorité
supérieure, de celui opéré à titre personnel que la diversité et la complexité
des motivations individuelles rendent fondamentalement distinct du
premier.
La question de la rigidité des lois de bioéthique françaises est abordée tout
au long de l'ouvrage : déficit de sperme, manque dramatique d'ovules,
impossibilité de sélectionner un donneur, interdiction d'importer du sperme,
interdiction de rémunérer un donneur, interdiction de l'AMP aux couples
homosexuels, interdiction des mères porteuses, etc.
Alors que l'élargissement de l'AMP aux femmes seules ou aux couples homosexuels
se banalise dans de nombreux pays, les français sont condamnés à un "tourisme
procréatif" qui, bien entendu, n'est accessible qu'aux foyers les plus
aisés.
Bertrand Pulman emploie deux fois le mot "déréguler" au lieu de "dérèglementer"
(page 129 et 187) suivant en cela le contresens commun de la doxa antilibérale.
Pourtant c'est bien l'angle libéral qui ressort lorsqu'il écrit, page 27 :
« Certes, un tel point de vue vient bousculer la tendance bien
française à encadrer et à interdire » suivi par : « Notre
livre est donc un plaidoyer pour une liberté qui est en marche de toute
façon, non pas parce que ses manifestations nous enthousiasmeraient a priori,
mais parce que, entre la confiance et l'interdit, nous préférons la
confiance. » et page 114 : "ce n'est pas parce qu'une demande
émane d'une minorité qu'elle n'est pas recevable, dès lors que cette minorité
ne cherche pas à imposer son point de vue et ses pratiques aux
autres".
Un livre vraiment passionnant, optimiste et humaniste dans le vrai sens libéral
du terme, c'est à dire qui attache plus d'importance aux désirs individuels
qu'aux morales imposées.
100% GL compatible. A lire ab-so-lu-ment.
Mille et une façons de faire les enfants
Quand le libéral moyen tombe sur un ouvrage traitant des nouvelles méthodes
de procréation offertes par la science, écrit par un universitaire, français,
sociologue, et chercheur à "l'Institut de recherche interdisciplinaire sur
les enjeux sociaux", il s'attend bien évidemment au pire, à savoir, une
énième dissertation sur la nécessité du principe de précaution, sur l'horreur
de la "marchandisation" du corps humain, sur la nécessaire protection de
l'enfant à naître, sur le spectre eugéniste, sur le respect du au fœtus, voire
sur l'effondrement des valeurs familiales.
C'est que notre pays présente la particularité de réunir une extraordinaire
palette de moralistes professionnels, dont la tâche consiste à imaginer les
inconvénients et les dangers de toutes les nouvelles technologies : OGM, nano
technologies, ou assistance médicale à la procréation (AMP), les interdictions
pleuvent parfois même avant que les techniques aient pu voir le jour.
L'épithète "réactionnaire" que l'on croyait réservé au peuple de droite
s'applique désormais parfaitement aux ligues de vertu socialistes ou au culte
écologique. D'ailleurs les gouvernants de la bonne vieille droite gaulliste
n'hésitent pas à nommer des personnalités "de gauche" à la tête des multiples
comités d'éthique, convaincus qu'ils se comporteront en auxiliaires zélés de la
morale chrétienne conservatrice.
Et c'est là qu'intervient la surprise, car Mille et une façons de faire les
enfants est à cent lieues de ce marécage franchouillard.
1 De Emmanuel -
Intéressant et effrayant à la fois. Pour ce qui est de la procréation, des questions ethiques touchant à la vie et à la mort, l'Etat peut-il se désengager ?
Expérimenter sans généraliser, c'est peut-être la bonne formule.
2 De alcodu -
Il est ici beaucoup plus question de vie que de mort.
A partir du moment où on ne cause pas de tort aux droits d'autrui, de quoi l'Etat se mèle t-il ? On en revient toujours aux fondamentaux exprimés par la DDH de 89.
Nous avons la législation de bioéthique la plus rétrograde de tous les pays développés. La loi de bioéthique de 1994 a même nationalisé le corps humain et ses produits avec le surréaliste article 16-1 du code civil.
Une honte pour le soi disant pays des Droits de l'Homme.
3 De Emmanuel -
Le droit à la vie signifie aussi le droit à l'intégrité physique et morale, le droit à la sûreté).
L'Etat ne peut donc pas ne pas réglementer, car il doit être le garant de ces droits. Ainsi, torturer, violer ou abandonner son enfant ne constituent pas des libertés, mais des crimes. Et heureusement !
S'agissant des mères porteuses, de l'homoparentalité, etc... il ne s'agit pas seulement de la liberté des parents : en effet, des enfants sont concernés. Donc, l'argument "on ne cause pas de tort aux droits d'autrui" ne tient pas, puisque det autrui existe.
Cela est très différent du débat sur la libéralisation de la drogue. Si je me drogue, je ne porte pas atteinte aux droits d'autrui, en effet. A condition cependant que j'assume les conséquences de mes actes (donc que je me paie seul mes cures de désintox et autres frais médicaux liés aux conséquences de mes actes).
Or, actuellement, ceux qui réclament le droit de se droguer oublient cet aspect des choses, et trouvent normal que la société assume les dégats.
Mais pour revenir à la procréation, c'est donc l'existence des enfants et de leur bien-être futur qui donc relativise l'argument "on ne cause pas de tort aux droits d'autrui".
C'est pourquoi je parlais d'expérimentation à ce sujet.
4 De alcodu -
Oui, oui, tout cela est vrai mais il y a un extrême danger à prendre la parole à la place des enfants que l'on est censé "protéger".
Les professionnels de l'éthique nous disent : "les enfants élevés par des couples homosexuels vont souffrir et présenter des troubles de comportement". Ils le disent AVANT que les problèmes apparaissent et interdisent pour ce motif.
Or les chercheurs qui étudient des populations d'enfants conçus par des couples homosexuels n'ont relevé aucun trouble ni différence avec une population d'enfants ayant des parents hétéros.
On voit donc bien que le discours protecteur cache en fait une désapprobation morale à priori. Le sort des enfants n'est qu'un prétexte.
Il en va de même pour les mères porteuses.
Enfin (juste pour le plaisir de pinailler) il y a une différence assez nette entre torturer et violer son enfant et l'abandonner. Si les deux premiers cas constituent à l'évidence un crime, Murray Rothbard défend la position contraire pour l'abandon d'enfant.
Il défend aussi le fait qu'un enfant mineur puisse décider de quitter ses parents pour en changer. Mais c'est un autre débat.
5 De Emmanuel -
Sur l'homoparentalité, je suis d'accord avec vous. Les soi-disant défenseurs des enfants sont souvent dans cette affaire des homophobes qui prennent prétexte des enfants pour mener leur croisade.
Reste qu'on ne sait rien en fait des dégats éventuels d'une éducation homoparentale, parce qu'on manque de recul. C'est pourquoi, plutôt que de légiférer dans un sens absolument pro-homoparentalité, je crois que la sagesse veut que l'on reste prudent (du reste, expérimenter et refuser de légiférer de façon catégorique me semble une attitude typiquement libérale).
Abandonner son enfant, pour moi, reste un crime (au sens large, abandonner signifie aussi ne pas assumer ses responsabilités parentales). On atteint là à mon avis les limites de la pensée libertarienne.
6 De tetatutelle -
@ Emmanuel :
"A condition cependant que j'assume les conséquences de mes actes (donc que je me paie seul mes cures de désintox et autres frais médicaux liés aux conséquences de mes actes).
Or, actuellement, ceux qui réclament le droit de se droguer oublient cet aspect des choses, et trouvent normal que la société assume les dégats."
Et bien "moi aussi," figures-toi ! Rien ne m'énerve plus que ce discours-là et c'est lui "le responsable directe de ma conversion au libéralisme" !! C'est bien facile d'accorder la liberté aux gens dans ces conditions ! Et c'est surtout "la conditionner aux revenus financiers" : quelle injustice ! En effet dans ces conditions les plus riches pourront se permettre d'adopter les pires comportements envers leur santé, s'adonner à la consommation d'héroïne alors qu'on comptera le nombre de raies de chocolat journalières des RMIstes ! Parce que le problème il est bien là : c'est qu'on est obligé de faire valoir cette logique "jusqu'au bout" et donc ainsi interdire TOUT ce qui nuit à la santé ! Car si en effet on peut trouver qu'il faut se situer moralement vraiment bas pour s'adonner à la drogue et n'avoir ainsi aucune envie de plaindre ceux qui en souffrent les conséquences (c'est bien mon cas !), vouloir restreindre les sucreries et détailler et censurer le menu alimentaire des salaires moyens et celui des plus pauvres est bel et bien entrer dans la pratique dictatoriale ! Qu'est-ce que cette forme de liberté individuelle qui ne vaudrait pas "pour tous" ? Mais je pense sur ce point que l'abandon du monopole de notre système de santé en faveur d'assurances privées concurrentielles devrait règler ce problème..........à condition toutefois que "les tarifs des primes ne soient pas fixés en fonction du comportement de l'assuré", ce qui signfierait de la part de ces compagnies d'assurance la même mission de "flicage" que celle de l'Etat actuel (ou "en devenir" car ça s'aggrave jour après jour sur ce point !........). Dans ce cas ce changement de système ne nous aurait donc "rien fait gagner en matière de liberté individuelle" ! Nous n'aurions fait que "échanger une nounou contre une autre" !
@ Alain :
Quant à toi je m'avoue choquée de tes déclarations concernant "l'abandon d'enfant" ........ Alors tu ne considères pas cela comme un crime le fait d'aller abandonner son enfant dans la nature (on a donc pas du trop te baratiner quand t'étais petit avec "l'histoire du Petit Poucet" !.......) ? Car qu'on se comprenne bien sur ce que j'appelle un "abandon" : je parle de l'abandon "le plus sauvage et le plus indigne", pas celui consistant à "placer son enfant à l'Assistance publique ou dans un orphelinat". Je ne considère pas ce dernier cas comme un abandon, "contrairement à notre législation" qui d'ailleurs affirme la même chose concernant l'abandon des animaux (en effet pour la loi mener à la SPA son chien qu'on ne peut plus nourrir est considéré comme abandon, et interdit la propriété de tout autre animal pendant un certain temps !). Une mère qui préfère confier son enfant à une structure qui va l'entretenir et l'éduquer au lieu de l'abandonner lâchement dans la nature fait justement preuve de scrupule à son égard, même si son "degré d'amour" reste quant à lui discutable...........
Quant tu opposes l'argument du "non-droit de l'adulte à parler à la place de l'enfant", tu oublies une chose essentielle : jusqu'à un certain âge (soit "très bas" !), l'enfant n'a "aucune capacité à exprimer le moindre souhait que ce soit", et alors il "subit bien la situation malgré lui" !
7 De alcodu -
@ Emmanuel, d'accord sur les trois points.
@ Deborah, Oh ! par abandon d'enfant il faut bien entendu comprendre l'abandon des liens parentaux. Il ne s'agit pas de jeter les enfants dans une poubelle ou de les laisser au bord de l'autoroute !!!
Dans l'autre sens, MR soutient qu'un enfant en âge de se faire comprendre, même mineur, doit pouvoir répudier ses parents.
Vous m'accorderez que transférer ou abandonner son autorité parentale n'a RIEN à voir avec torturer ou violer un enfant (ce qui ne veut pas dire que je suis d'accord avec MR).
8 De tetatutelle -
Le mot abandon étant "le plus fort", personnellement je préfère l'employer dans le cas de la séparation "dans les pires conditions et avec la pire négligence". Dans le cas du placement de l'enfant dans un établissement le mot "séparation définitive" me semble plus approprié. La "nuance" dans les mots de vocabulaire est importante. Je n'ai nullement voulu dire que mettre son enfant dans un orphelinat est un comportement louable !
Le problème de l'argument de la "réciprocité de séparation" de MR c'est qu'il ne prend pas en compte les aspirations "totalement différentes" des deux parties à cette séparation ! Le souhait d'un enfant de se séparer de ses parents sera toujours exclusivement motivé par "un désir d'indépendance", l'aspiration à "une vie plus libre". Alors que du côté des parents (excepté dans le cas de l'insuffisance pécunière pour l'entretenir), l'exclusion d'un enfant du domicile parentale est "la punition capitale" ! En cas de comportement immoral (bêtises ou vilaines moeurs pour un adolescent) ou dans celui d'une revendication trop répétive du "droit à faire et penser ce qu'il veut", il doit prendre la porte ! Par conséquent on en revient toujours au même problème : si notre société appliquait le système de Rotbard, on assisterait en la matière à une "loi du plus fort" phénoménale, la "liberté" n'étant réservée en somme qu'aux parents ! Il y aurait "plein d'enfants séparés des parents malgré eux" et extrêmement peu "d'échappés volontaires" ! Une "prise de revanche des conservatismes" comme on en aurait encore jamais vue !
Par ailleurs les notions de "majorité et minorité légales" n'ont aucun sens pour MR qui, "libertarien", prône "l'abolition de l'Etat" (celui-ci ne pouvant donc plus "légiférer" sur rien !).
9 De alcodu -
Décrire une série de catastrophes qui-arriveront-si-on-change-les-règles de vie en société, cela s'appelle du conservatisme. C'est une position tout à fait honorable et largement répandue.
Dans la position de MR je vois surtout la remise en cause d'un espèce de "droit de propriété" des parents sur les enfants.
Encore une fois, n'étant pas libertarien, je n'adhère pas à la vision anarchiste de MR, mais je la trouve intéressante.
10 De tetatutelle -
Je ne dis pas que "l'intention de MR est conservatrice". Si elle ce que tu dis, tant mieux ! Mais "les bonnes intentions produisant le résultat opposé à celui recherché", ça existe ! Ma prudence se fait simplement sur le constat de réalité qui est celui de la population de notre pays : bardée de conservatismes ! S'il existe certains pays où les parents tiennent un autre discours que le nôtre ici en France, la proposition de Rotbard peut très bien fonctionner. Mais en France, une REVOLUTION DES MENTALITES doit impérativement précéder un changement des règles !