Mille et une façons de faire les enfants

Quand le libéral moyen tombe sur un ouvrage traitant des nouvelles méthodes de procréation offertes par la science, écrit par un universitaire, français, sociologue, et chercheur à "l'Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux", il s'attend bien évidemment au pire, à savoir, une énième dissertation sur la nécessité du principe de précaution, sur l'horreur de la "marchandisation" du corps humain, sur la nécessaire protection de l'enfant à naître, sur le spectre eugéniste, sur le respect du au fœtus, voire sur l'effondrement des valeurs familiales.
C'est que notre pays présente la particularité de réunir une extraordinaire palette de moralistes professionnels, dont la tâche consiste à imaginer les inconvénients et les dangers de toutes les nouvelles technologies : OGM, nano technologies, ou assistance médicale à la procréation (AMP), les interdictions pleuvent parfois même avant que les techniques aient pu voir le jour. L'épithète "réactionnaire" que l'on croyait réservé au peuple de droite s'applique désormais parfaitement aux ligues de vertu socialistes ou au culte écologique. D'ailleurs les gouvernants de la bonne vieille droite gaulliste n'hésitent pas à nommer des personnalités "de gauche" à la tête des multiples comités d'éthique, convaincus qu'ils se comporteront en auxiliaires zélés de la morale chrétienne conservatrice.

Et c'est là qu'intervient la surprise, car Mille et une façons de faire les enfants est à cent lieues de ce marécage franchouillard.

Bertrand Pulman y adopte une attitude résolument ouverte et même malicieusement provocatrice. Il ne craint pas d'exposer les cas les plus extrêmes et les plus dérangeant de la  façon la plus neutre. En voici quelques exemples :

- La mère de Keivan Cohen, soldat israélien de 22 ans abattu à Gaza en 2002 fait prélever le sperme de son fils mort, passe une petite annonce sur Maariv pour trouver une mère. Elle sélectionne une femme de 35 ans parmi les centaines de candidates qui répondent à l'annonce. Aux termes de trois ans de débats, la justice israélienne lui donne raison et son fils mort peut lui donner un petit fils.
- Alex Patrick, une femme de 28 ans apprend qu'elle est stérile suite à une chimiothérapie. Sa sœur jumelle Charlotte accepte de l'aider par un don d'ovocyte. Mais ni Alex ni Charlotte ne peuvent  porter l'enfant, c'est donc la sœur ainée, Helen qui sera la mère porteuse. En juin 2005 nait David, premier enfant conçu par trois sœurs.
- Tracy, superbe jeune femme née de père asiatique et de mère blanche se transforme progressivement en homme. Elle prend des traitements hormonaux, efface sa poitrine par la chirurgie et obtient finalement la rectification de son état-civil en 2002 en devenant officiellement Thomas Beatie. L'année suivante Thomas épouse Nancy. Peu après, le couple veut un enfant mais Nancy qui a déjà deux enfants ne peut plus procréer suite à une hystérectomie. Thomas arrête ses injections et se fait inséminer avec du sperme de donneur. Le 29 juin 2008 Thomas accouche d'une petite  Susan Juliette dont il est officiellement le papa.
- Un réseau social particulièrement étoffé s'est créé autour du donneur n° 1476 de la Fairfax Cryobank. Donor 1476 families réunit les familles des 36 enfants nés d'un géniteur inconnu dont on sait qu'il est blond au yeux bleus, et qu'il travaille dans la finance  L'association dispose d'un site web : www.freewebs.com/donor1476.

Habilement utilisés pour attiser la curiosité ou l'indignation du lecteur, l'exposé de ces cas (il en a d'autres tout aussi étonnants) ne constitue pas pour autant la matière principale de l'ouvrage qui est bien plus sérieux et remarquablement documenté. On y trouvera une brève histoire de chacune des techniques de la procréation assistée, un état de la législation et de la jurisprudence pour de nombreux pays avec des exemples de conflits juridiques marquants, enfin un panorama des choix éthiques posés par chacune des avancées scientifiques de la procréation assistée. Il faut d'ailleurs saluer ici le brio avec lequel Bertrand Pulman donne la parole à de nombreux chercheurs et médecins ayant des points de vue fort différents.  Les citations se mêlent adroitement au texte de l'auteur qui sert de fil d'Ariane dans ce labyrinthe des morales.
Pour contrebalancer l'avis des "spécialistes" l'ouvrage accorde une attention particulière aux problèmes et aux souffrances de tous ceux qui font appel à ces techniques. De nombreuses équipes médicales ont été interrogées sur le terrain. Toutes se font l'écho des souffrances et de la volonté inébranlable des patients lorsqu'il s'agit d'obtenir un enfant.

L'un des chapitres s'intitule : "Allons nous vers un eugénisme libéral ?".  Les techniques de fécondation in vitro permettent déjà d'éliminer des risques de maladies génétiques graves mais aussi de choisir le sexe de son enfant, la couleur de ses yeux, ou sa taille présumée. Faut-il devant cet état de fait adopter l'attitude quasi-hystérique de ceux pour qui la sélection des embryons s'apparente obligatoirement au nazisme ?  Citant Pierre-André Taguieff,  Bertrand Pulman a le courage d'aborder le sujet calmement en distinguant bien l'eugénisme collectif et coercitif planifié par une autorité supérieure, de celui opéré à titre personnel que la diversité et la complexité des motivations individuelles rendent fondamentalement distinct du premier.

La question de la rigidité des lois de bioéthique françaises est abordée tout au long de l'ouvrage : déficit de sperme, manque dramatique d'ovules, impossibilité de sélectionner un donneur, interdiction d'importer du sperme, interdiction de rémunérer un donneur, interdiction de l'AMP aux couples homosexuels, interdiction des mères porteuses, etc.
Alors que l'élargissement de l'AMP aux femmes seules ou aux couples homosexuels se banalise dans de nombreux pays, les français sont condamnés à un "tourisme procréatif" qui, bien entendu, n'est accessible qu'aux foyers les plus aisés.

Bertrand Pulman emploie deux fois le mot "déréguler" au lieu de "dérèglementer" (page 129 et 187) suivant en cela le contresens commun de la doxa antilibérale. Pourtant c'est bien l'angle libéral qui ressort lorsqu'il écrit, page 27 : « Certes, un tel point de vue vient bousculer  la tendance bien française à encadrer et à interdire » suivi par : « Notre livre est donc un  plaidoyer pour une liberté qui est en marche de toute façon, non pas parce que ses manifestations nous enthousiasmeraient a priori, mais parce que, entre la confiance et l'interdit, nous préférons la confiance. » et page 114 : "ce n'est pas parce qu'une demande émane d'une minorité qu'elle n'est pas recevable, dès lors que cette minorité ne cherche pas à imposer son point de vue et ses pratiques aux autres".

Un livre vraiment passionnant, optimiste et humaniste dans le vrai sens libéral du terme, c'est à dire qui attache plus d'importance aux désirs individuels qu'aux morales imposées.
100% GL compatible.  A lire ab-so-lu-ment.

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